LANGAGE NON SEXISTE ET NORME
Un bon matin, j’ouvre le journal
et j’y lis qu’ « Une otage canadienne est libérée
en Irak ». Tiens ! Tiens ! Une otage
? Au féminin ? Je jette
un coup d’œil dans
un dictionnaire : « Otage,
nom masculin ». En prime, on renchérit, à la fin
de l’entrée de ce mot, avec une note au ton sans appel:
« Ce mot n’a pas de féminin » (Multidictionnaire,
2003).
Autre exemple : les universités
regorgent de chercheurs et chercheuses… qui se dénomment
par ailleurs souvent chercheures, depuis au moins les années
1970. En effet, la forme une chercheure s’est peu à
peu répandue depuis cette date, à quelques exceptions
près, dans les centres de recherche, les publications scientifiques,
les congrès, dans le milieu, quoi ! Ouvrez, en ce jour, votre
dictionnaire francophone favori, pour n’y trouver nulle trace
de cette finale en –eure. Une chercheuse remporte
la palme unanimement.
Flute ! Que ferais-je donc si je devais,
dès demain, rédiger un texte dans lequel une universitaire
mènerait des travaux de recherche ? Elle serait chercheuse
ou chercheure ? Et cette citoyenne du monde prise en otage
? Une ou un otage [NDLR: une otage figure
pour la première fois dans le Petit Larousse illustré
2006]?
Deux cas parmi tant d’autres,
lesquels interpèlent la conception traditionnelle de la norme,
cette norme que l’on perçoit trop souvent comme
immuable, rigide, fixée, dans
des ouvrages– les dictionnaires – s’apparentant
à des bibles qui consigneraient le «
seul » usage
convenable et acceptable. Or, la réalité s’avère
toute autre. Non seulement les dictionnaires divergent-ils sur une variété
de points entre eux, d’une part, mais encore offrent-ils de la
variation à l’intérieur de leurs propres pages pour
qui en analyse le détail (par exemple, soit des dédoublements,
soit l’usage des parenthèses, soit encore des mots au genre
masculin uniquement pour définir des titres d’emploi).
En outre, au fil des années, seules quelques modifications, trop
souvent avalisées au compte-gouttes, en altèreront le
contenu, d’où la réputation de conservatisme légendaire
qui caractérise les dictionnaires. En réalité,
la visée idéologique ainsi que les considérations
administratives et commerciales de ces ouvrages normatifs ne leur permettent
tout simplement pas d’être à jour.
Or, quiconque s’intéresse
à la langue, à ses changements, à sa progression
au fil des siècles, à la façon aussi dont elle
se vit au jour le jour, est à même de constater que la
langue se transforme continument sur le terrain, dans le quotidien.
Les journaux, les publications gouvernementales, les revues et magazines,
les livres, etc., lesquels font pourtant sans cesse appel à des
équipes de révision, foisonnent de néologismes,
de formes inédites, d’expressions innovatrices, de règles
antérieures « réanimées », bref, d’autant
d’audace que l’y consent la langue française d’ici
et d’ailleurs. On notera au passage que ce sont d’ailleurs
les journaux qui agissent de catalyseur de la norme aux États-Unis,
en consignant le consensus social en matière linguistique.
C’est ainsi que toute personne
francophone se retrouve, tôt ou tard, confrontée à
opter pour l’une ou l’autre conception de la norme, à
savoir celle qui palpe la réalité au quotidien et suit
de près l’ensemble des usages de la communauté linguistique,
ou encore celle qui accuse inéluctablement un retard d’une
ou de plusieurs décennies, qui s’allie à l’élite,
qui prétend enregistrer le bon usage, celui de l’«
honnête homme »((Petit Robert, 1967
). À quelle enseigne se loger ? À qui se référer?
Voilà, la question est posée.
Or, si pullulent en tous lieux les ouvrages normatifs traditionnels
(grammaires et dictionnaires), où donc sont rassemblées
ces innombrables innovations langagières, faisant timidement
ou non l’objet d’une quelconque reconnaissance par les autorités,
qui émergent en tous lieux, attestant incommensurablement de
la vitalité de la langue française-?
Ce site s’en veut l’une
des manifestations. On y trouve ainsi quelques reflets des tentatives
et percées en matière de LANGAGE NON SEXISTE,
à savoir les mots, expressions et phrases que les unes et les
autres avancent, tâtent, mettent en usage afin de pallier les
lacunes au plan de la représentation des femmes et, dans une
moindre mesure, de celle des hommes dans la langue française.
En soi, les données recueillies
offrent donc une double visée :
- Révéler la vitalité
incontestable de la langue française en présentant un
éventail d’usages linguistiques non sexistes mis de l’avant
par une panoplie de locuteurEs qui cherchent hardiment une nouvelle
norme ;
- Inciter les internautes francophiles
à participer à cette réflexion sur la norme en
les invitant à partager leurs propres productions linguistiques
innovatrices dans ce domaine avec leurs compatriotes.
En outre, les extraits colligés
ont pour effet inopiné d'humaniser ces données en ce qu’ils
dévoilent, autant que faire se peut, l’identité
des gens mis en présence – abondamment des citoyennes -
et amènent, de surcroit, le lectorat à travers un survol
historique, voire un rappel de certains évènements ayant
fait la manchette. Cela étant, on y (re)découvrira donc
les contributions sociales, voire les exploits, les influences et les
multiples actions exercées par nos consoeurs dans autant de domaines.
LA CONSTITUTION DU CORPUS
À chacune des catégories identifiées, figure un
corpus, à savoir un listage de mots, d’expressions ou de
phrases authentiques. Il suffit alors de cliquer sur ces occurrences
afin de parvenir à la référence dont elles sont
issues (le contexte, la source et la date). Les
extraits compilés ne prétendent pas représenter
la première attestation du mot retenu. Par ailleurs, bien que
les références québécoises s’avèrent
nombreuses, on retrouvera néanmoins parfois, à titre informatif,
des extraits puisés ailleurs dans la francophonie. À cet
égard, et pour faire honneur à la Belgique qui agit comme
chef de file, sont appliquées - également dans les citations
- les rectifications orthographiques de 1990, dont la teneur est présentée
sur le site www.orthographe-recommandee.info.
Enfin, la liste des publications est compilée sous l’onglet
"les sources des citations".
Céline Labrosse
Ph.D. en Linguistique, auteure de
Pour une langue française
non sexiste et
Pour une grammaire non sexiste
info@langagenonsexiste.ca